lundi 29 avril 2013

Le bleu de la nuit, Joan Didion




« Sous certaines latitudes, pendant un certain laps de temps à l’approche et au lendemain du solstice d’été, quelques semaines en tout, les crépuscules rallongent et bleuissent … On en remarque les prémices quand le mois d’avril touche à sa fin et que commence le mois de mai, un changement de saison, pas vraiment un redoux – pas du tout un redoux, en vérité – mais soudain l’été paraît proche, une possibilité, voire une promesse. On passe devant une vitrine, on marche vers Central Park, on se retrouve baigné d’une lumière bleue ; c’est la matière même de la lumière qui paraît bleue, et cependant une heure environ ce bleu s’épaissit, s’intensifie alors même qu’il s’assombrit puis  s’estompe, se rapprochant pour finir du bleu des vitraux à Chartres par beau temps, ou du bleu des rayonnements Cerenkov émis par les barres de combustible dans les bassins des réacteurs nucléaires. C’est le moment de la journée que les français appelaient autrefois « l’heure bleue ».  Pour les anglais, c’était « the gloaming »… Quand vient la saison des nuits bleues, on a l’impression que les journées n’en finissent jamais. Et à mesure que la saison des nuits bleues se rapproche de son terme (inexorable, inéluctable), on est saisi d’un frisson, d’une appréhension physique, maladive, lorsqu’on s’en avise pour la première fois : la lumière bleue s’en va, déjà les jours raccourcissent, l’été n’est plus là. Ce livre s’appelle « Le bleu de la nuit» parce qu’à l’époque où j’ai commencé à l’écrire, j’avais l’esprit de plus en plus souvent tourné vers la maladie, vers la fin des promesses, le déclin des jours, l’inévitable assombrissement, l’agonie de la clarté. Le bleu de la nuit, c’est le contraire de l’agonie de la clarté, mais c’est aussi son avertissement. »





Ce weekend  j’ai fait une belle rencontre sous la forme d’un livre « Le bleu de la nuit » (Grasset) et de son auteure Joan Didion. J’ai eu du mal à m’en détacher. C’est une sorte d’autoportrait. Elle a au moment de l’écriture 75 ans et les sens à vif éprouvés par l’âge, la maladie, mais surtout la perte des êtres chers, avec la disparition de son mari, et peu de temps après celle de sa fille Quintana, à qui le livre est dédié.  C’est aussi la confession de la peur de la perte à venir, celle de soi même.


Joan Didion, née en 1934 est l’une des plus importantes figures de la littérature américaine de notre époque. Elle a connu un premier succès en France avec « l’Année de la pensée magique» paru chez Grasset 2007, où elle faisait le récit du deuil de son mari, John Gregory Dunne, foudroyé fin 2003 par une crise cardiaque. Il y était aussi question de leur fille adoptive, Quintana, qui, à la même époque, était tombée dans le coma après une pneumonie.

 J’ai trouvé ce livre à la Librairie du Rivage à Royan.

vendredi 12 avril 2013

MoMA, NY

 
Evidemment on ne peut pas aller à New York sans passer par le MoMA (Museum of Modern Art). Les photos étant pour l'essentiel autorisées, je m'en suis donné à coeur joie. Voir aussi diaporama.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
  

 
 
 
 

Photographies : Charlotte and Boeuf 2013

mercredi 10 avril 2013

Zao Wou-ki














Le peintre Zao Wou-kie, maître de l'abstration lyrique, s'est éteint hier à l'âge de 93 ans.

 « Il vivait au bord du lac Léman depuis 2011, de plus en plus diminué par la maladie d'Alzheimer, à laquelle il a succombé. Auparavant et pendant cinquante ans, quand ce grand voyageur était chez lui, tous les matins, depuis qu'il s'y était installé en 1960, il montait dans son atelier, au dernier étage de sa maison, rue Jonquoy, dans le 14e arrondissement de Paris. Il riait de cette régularité d'"ouvrier", si éloignée du mythe de l'artiste inspiré. Là, seul, il peignait à l'huile sur toile le plus souvent, à l'encre de Chine plus rarement, à l'aquarelle dans les dernières années.
 
A l'exception d'une collection de pinceaux somptueux rapportés de Chine au cours de l'un de ses voyages, rien ne rappelait en ce lieu son pays natal. Les livres de la bibliothèque concernaient l'histoire de l'art occidental, Cézanne, Matisse. La musique était européenne, de Mozart à Varèse qui fut de ses amis. Peu de vies attirent aussi évidemment la réflexion du côté des rapports et de la convergence des cultures, caractéristique du XXe siècle. Peu d'œuvres rappellent aussi combien les jugements sont susceptibles d'évoluer en matière d'art.

Né à Pékin le 1er février 1920, Zao Wou-ki – son nom francisé – appartient à la famille Tsao (ou T'chao), connue depuis les Song, famille aristocratique et lettrée. Admis dès 1935 à l'Ecole des beaux-art d'Hangzhou, il y demeure six ans et y devient assistant en 1941. Cartes postales rapportées de Paris par un oncle et magazines américains lui révèlent l'art occidental, l'impressionnisme, Matisse et Picasso. Une première exposition personnelle à Shanghaï en 1947 précède de peu son départ pour Paris : la situation politique et le désir de connaître par lui-même cet autre monde déterminent un départ qu'il ne sait pas définitif.

ASCENSION

Il racontait volontiers comment, arrivé à Paris, le 1er avril 1948, en compagnie de Lalan, sa première épouse, il passe son après-midi au Louvre. Il trouve un atelier rue du Moulin-Vert, proche de celui de Giacometti, dans le 14e arrondissement déjà, fréquente l'académie de la Grande-Chaumière, se rend dans les galeries et découvre l'un de ses artistes de référence, Klee.

Il rencontre de jeunes artistes depuis peu arrivés à Paris, Pierre Soulages, Sam Francis, Norman Bluhm, Jean-Paul Riopelle. Il expose à la galerie Creuze, en mai 1949, puis chez Pierre Loeb. Celui-ci vient dans son atelier en janvier 1950, en compagnie du plus discret des amis de Zao Wou-ki, le poète et peintre Henri Michaux. Dès 1952, ce dernier préface une exposition du peintre à New York : "Montrer en dissimulant, briser et faire trembler la ligne directe", écrit-il.

En peu de temps, alors que la langue française ne lui est pas encore familière, Zao Wou-ki s'inscrit dans le mouvement qui porte alors les peintres de sa génération vers des expérimentations abstraites, chacun selon sa voie singulière. Si proches soient-ils amicalement – et professionnellement à la Galerie de France où ils exposent longtemps tous trois –, Zao Wou-ki, Hartung et Soulages ne forment pas un groupe. Leurs œuvres n'ont rien de commun, mais ils partagent la même exigence d'expérimentation physique et intuitive. L'assiduité de Zao Wou-ki dans son atelier répond à cette idée de l'art conçu comme expérience visuelle, hors de tout système.

Se dégageant de Klee, il s'écarte autant de la tradition calligraphique chinoise. A partir du milieu des années 1950, les formats grandissent, les couleurs gagnent en éclat, les gestes en puissance. Les tensions sont accentuées par l'affrontement entre des couleurs très intenses. Rien de surprenant si, rompant avec son habitude de ne donner titre, Zao Wou-ki nomme une toile Hommage à Henri Matisse – hommage à ses roses et à ses bleus, mais aussi à sa géométrie tranchante. La bidimensionnalité de l'abstraction est emportée dans un espace vaste et mouvant, océanique ou céleste. Les encres sont animées du même souffle. ZaoWou-ki revient à cette technique en 1971, à la suggestion de Michaux.

L'encre lui permet de réinterpréter l'abstraction selon la conception chinoise du geste et de l'espace, comme auparavant l'huile, technique occidentale, l'avait déterminé à s'écarter de son éducation première. Dans les deux cas, les notions de rencontre et de passage sont centrales.

Bien que naissent alors quelques-uns de ses chefs-d'œuvre, Zao Wou-ki paraît dans les années 1960 et 1970 loin des courants à la mode. On l'enferme dans le label commode de l'"abstraction lyrique", dont il ne se réclame pas. On lui reproche d'être "trop" peintre, de ne pas tenir de discours théorique, de ne pas cultiver l'ascétisme et d'aspirer même à une sorte de sublime de la couleur. Depuis, le jugement s'est inversé, de la désaffection à l'admiration, jusqu'à faire de lui l'un des artistes les plus connus de tous les publics.
 
 

CÉLÉBRITÉ INTERNATIONALE

L'inventaire de ses expositions dans des galeries, de ses rétrospectives dans des musées, des commandes et des distinctions qu'il a reçues serait interminable. A partir des années 1980, sa notoriété gagne l'Asie, Singapour – où il travaille avec l'architecte Ieoh Ming Pei –, Hongkong, Taiwan, le Japon, la Corée.
 
En 1983, il est invité à revenir dans la Chine qu'il a quittée trente-cinq ans plus tôt, pour des expositions à Pékin et Hangzhou. Il y retourne pour enseigner pendant un mois en 1985 et fait découvrir à ses élèves l'art occidental, auparavant prohibé.

A mesure que son pays natal s'ouvre, que des collectionneurs s'y révèlent et que les artistes chinois s'imposent, l'engouement pour son art devient immense et son renchérissement est proportionnel. Jadis contraint de s'exiler, il apparaît désormais comme un maître et un symbole pour ses compatriotes – un symbole culturel parce que son art allie un sentiment de l'espace et une puissance du geste, que l'on tient pour caractéristiques de l'art chinois, à la peinture à l'huile, création européenne qu'il a su apprivoiser et attirer vers le monde aérien et mobile qui était le sien ».
Philippe Dagen Le Monde Culture 9 avril 2013