jeudi 14 février 2013

Ma relation au temps, par Jacques Salomé – psychosociologue et écrivain

 

Le dire tout de suite, ma relation au temps devient de plus en plus ambiguë ou du moins versatile et changeante. Elle ne cesse de fluctuer entre passivité et ouverture, entre activisme et laisser faire, entre effervescence et quiétude ou bienveillance. Ce que je sais, c’est que je cours après le temps, je n’ai pas le temps de tout faire, et ce que je fais, je le fais souvent trop vite et pourtant je fais plusieurs choses en même temps !
« Il est un âge où on ne rencontre plus la vie mais le temps. On cesse de voir la vie vivre. On voit le temps qui est en train de dévorer la vie » écrit Pascal Guignard. Je suis à l’âge où j’ai encore en moi le goût ardent de la vie et où, à chaque instant, je sais et surtout je sens, que le temps s’accélère ou peut rétrécir, devenir parfois si fluide qu’il échappe même à mes rêves et d’autre fois si dense qu’il immobilise l’espace pour s’y blottir en entier et quasiment m’expulser. Je suis dans cette période de ma vie où il me semble vital de ne plus gaspiller ni une seule seconde, ni la parcelle, la plus infime soit elle, de mon temps. Je ne peux enfermer le temps, ni le garder, ni l’économiser mais je peux au moins tenter de le vivre à temps plein, en explorer tous les possibles, en goûter tous les instants.
Et en même temps, je découvre que ce n’est pas le temps donné à une rencontre par exemple, ou à un projet, qui est le plus important, c’est la façon dont nous allons l’utiliser, le nourrir et vivifier ainsi la rencontre elle-même ou la réalisation d’un projet. Que le plus important à vivre, est dans ce qui va se dire, se partager, se découvrir dans l’espace d’un échange, surtout quand c’est un échange intime et précieux. Le plaisir de son anticipation fébrile ou sereine, la chaleur de l’accueil, la ferveur des regards, l’impatience des mains, la vitalité de la présence, l’émerveillement des partages, c’est tout cela qui va donner du goût, du plaisir et de la valeur au temps vécu ensemble. Et puis bien sûr, les traces en nous du souvenir, le ferment engrangé pour de prochaines retrouvailles ou la nostalgie émue d’être passé à coté de l’essentiel, trop loin de la vie justement. Gardons-nous aussi de maltraiter nos souvenirs, même et surtout quand une relation est terminée. Nos souvenirs sont le terreau sur lequel va se construire un peu et parfois beaucoup de notre devenir.
Le temps est mutin, extensible, fluide ou lourd suivant la façon dont nous sommes présents au présent, entier dans l’instant. Que ce soit dans la relation à autrui où il me paraît important de ne pas alourdir ou polluer le temps d’un partage, par des communications vaines, artificielles, redondantes ou stériles. Que ce soit dans la relation avec soi-même où le temps me redevient plus précieux, chaque fois que dans l’après-coup, j’ai conscience que j’ai perdu un peu de ma vie (par exemple, en regardant un film inepte à la télévision, en me laissant embarquer dans une soirée nulle, en prolongeant des discussions insipides). Je m’en veux alors d’avoir gaspillé ma vie et le soir dans mon lit, il m’arrive d’en rassembler les morceaux, d’en extraire le bon et le doux pour pouvoir m’endormir plus apaisé.
Le temps est devenu ma grande affaire, je lui accorde plus d’attentions, de soins, d’intérêt, en un mot plus de temps.
 
Jacques Salomé, est l’auteur de :Si je m’écoutais je m’entendrais - Ed. Pocket
 

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